L’avènement du WMAS – Comment Sennheiser a révolutionné la technologie sans fil large bande
17 décembre 2024
Entretien avec le Dr Andreas Wilzeck, Head of Spectrum Policy and Standards chez Sennheiser
Avec Spectera, Sennheiser a dévoilé le tout premier écosystème numérique sans fil bidirectionnel à large bande, fruit de recherches approfondies sur les systèmes audio multicanaux sans fil, également connus sous le nom de WMAS (Wireless Multichannel Audio Systems). Alors que le développement de Spectera se poursuit en collaboration avec l’industrie audio professionnelle, le Dr Andreas Wilzeck revient sur la genèse du WMAS dans un récent article technique.
Dr Wilzeck, avant d’entrer dans les détails, pourriez-vous expliquer brièvement ce qu’est le WMAS et pourquoi cette technologie est qualifiée de "révolutionnaire" ? Ce terme semble souvent galvaudé de nos jours...
C’est vrai, on l’entend partout, mais j’espère pouvoir vous convaincre que cette technologie apporte de véritables révolutions. Le WMAS simplifie considérablement l’utilisation des systèmes audio sans fil, tout en offrant une flexibilité et une fiabilité accrues. En même temps, il résout de nombreux problèmes auxquels sont confrontés les coordinateurs de fréquences, les opérateurs et les sociétés de location de matériel audio.
Depuis l’apparition des premiers microphones sans fil dans les années 1950, et plus tard des retours in-ear (IEM), les transmissions ont toujours suivi un schéma 1:1 à bande étroite de 200 kHz, chaque microphone ou IEM étant couplé à un récepteur fixe. Au fil des décennies, nous avons vu l’audio professionnel évoluer du VHF vers des fréquences UHF plus fiables, l’invention de systèmes de réduction de bruit pour les transmissions RF analogiques, et enfin l’essor des systèmes numériques. Cependant, ce modèle de 200 kHz est resté inchangé.
En 2013, deux développeurs de Sennheiser ont exploré une approche totalement nouvelle, en adaptant des techniques large bande comme l’OFDM et le TDMA aux exigences strictes de l’audio professionnel. En septembre 2024, nous avons officiellement présenté Spectera, un écosystème basé sur ces recherches. Spectera est bidirectionnel et permet d’utiliser les IEM et les microphones sur un même canal TV large bande de 6 ou 8 MHz, intégrant les données audio et de contrôle. De plus, une seule Base Station 1U peut gérer jusqu’à 64 liaisons audio, réduisant considérablement l’encombrement.
Vous avez mentionné que les recherches ont commencé en 2013. Pourquoi ce processus a-t-il pris autant de temps ?
Comme je l’explique dans mon article, transformer une idée en produit commercial demande un travail considérable sur le plan technique, juridique et réglementaire. Utiliser pour la première fois un schéma de transmission large bande ne signifie pas seulement développer une nouvelle technologie. Il faut également adapter les normes de standardisation et modifier les réglementations sur le spectre dans chaque pays du monde.
À l’époque, Sennheiser, en tant qu’inventeur du WMAS, était le seul fabricant capable de présenter des prototypes WMAS pleinement fonctionnels aux autorités de régulation et aux organismes de normalisation, jouant ainsi un rôle clé pour démontrer le potentiel de cette technologie. Dès 2014, nous avons proposé l’inclusion du WMAS dans la norme ETSI EN 300 422 et avons également contribué à la création de la première version du document de référence WMAS ETSI TR 103 450.
Quel a été le tournant dans ce travail réglementaire ? Quand le WMAS a-t-il réellement percé ?
Cela s’est produit en 2018, lorsque les restrictions de largeur de bande pour l’audio PMSE (programmes et événements spéciaux) ont été levées dans la région CEPT, c’est-à-dire en Europe. Cette même année, Sennheiser a lancé le développement produit et déposé une "Petition for Rulemaking" auprès de la FCC pour commencer le processus d’approbation aux États-Unis. Ce processus s’est conclu six ans plus tard, avec l’inscription des règles finales au registre fédéral le 18 octobre 2024.
Dans votre article, vous parlez d'efficacité et d'optimisation dans l'utilisation du spectre, comme le stipule la directive sur les équipements radio (RED). Dans un monde qui cherche à être le plus efficace possible, comment un système sans fil peut-il devenir plus performant ?
Commençons par examiner rapidement l'efficacité, qui est fondamentale pour toutes les caractéristiques d'une utilisation optimale du spectre. Le principal levier d'une utilisation efficace du spectre est la bande passante plus large qu'utilise le WMAS, grâce à des techniques de modulation avancées comme l'OFDM et des schémas d'accès multiples tels que le TDMA ou le FDMA. Ces technologies ouvrent la voie à des liaisons audio dans des directions différentes au sein d'un même canal RF, réduisent les phénomènes de fading, permettent un contrôle et une gestion continus du système, et autorisent un plus grand nombre d'utilisateurs sans fil dans une zone donnée.
Les gains d'efficacité proviennent principalement de la bidirectionnalité, qui inclut le contrôle et la gestion à distance sans infrastructure supplémentaire, une configuration flexible des appareils, des émetteurs intelligents, une allocation dynamique des ressources au sein du canal RF, ainsi que des workflows simplifiés et des gains de temps considérables pour l'opérateur.
Pourquoi le WMAS permet-il de gérer davantage d’utilisateurs sans fil dans une zone donnée ?
Le WMAS est idéal pour les environnements multicanaux à haute densité, comme les théâtres ou les festivals. Avec les systèmes à bande étroite, la puissance d’émission totale s’accumule avec chaque appareil. Par exemple, une scène de théâtre avec 30 à 50 micros sans fil standard peut générer une puissance totale de 1,5 à 2,5 watts, rendant difficile l’utilisation des mêmes fréquences sur une scène voisine. Avec Spectera, qui utilise le TDMA, un seul appareil émet à la fois, limitant la puissance totale à 50 mW. Cela facilite considérablement la réutilisation des fréquences sur de courtes distances.
Spectera remplacera-t-il totalement les systèmes à bande étroite ?
Pas du tout. Le WMAS cible principalement les applications multicanaux. Pour des besoins simples, comme un ou deux artistes sur scène, les systèmes à bande étroite resteront pertinents pour des raisons de coût. Cependant, Spectera excelle lorsqu’il s’agit d’intégrer micros et IEM, et il cohabite parfaitement avec les systèmes existants.
J’ai entendu des critiques selon lesquelles Spectera nécessiterait toujours un canal TV complet, ce qui occuperait trop de spectre. Que répondez-vous ?
Spectera représente une approche visionnaire de l’audio sans fil professionnel. Nous parlons ici de cas d’utilisation multicanaux, et dans ce contexte, les micros et les IEM occupent souvent bien plus qu’un seul canal TV avec des technologies à bande étroite moins efficaces. Dans mon article technique, je compare le nombre de canaux audio par MHz pour les systèmes sans fil analogiques, numériques avec différents espacements équidistants, et Spectera. Il en ressort clairement que Spectera permet d’accueillir davantage de canaux. Et cela inclut à la fois les micros et les IEM, réunis dans un même canal RF large bande de 6 ou 8 MHz.
Spectera simplifie également les workflows et la gestion : grâce à la Base Station qui organise automatiquement les canaux audio au sein de la transmission large bande sur une seule porteuse RF, vous éliminez non seulement les calculs de fréquences complexes, mais aussi les câblages fastidieux des racks volumineux. En outre, Spectera offre une capacité de contrôle et de surveillance complète, vous permettant de visualiser précisément ce qui se passe sur les fréquences utilisées – ce qui n’était pas possible jusqu’à présent.
En réalité, il faudrait reformuler la critique : si je ne dispose que d’un seul canal TV pour les micros et les IEM, Spectera sauve la situation. Même avec des ressources spectrales limitées, les opérateurs peuvent déployer des configurations audio complexes sans compromettre les performances.
Dans votre article, vous mentionnez un mode multicast. Pouvez-vous expliquer de quoi il s’agit ?
La fonctionnalité multicast de Spectera permet à jusqu’à 128 appareils de recevoir simultanément le même flux audio, ce qui est idéal pour les productions ou événements où de nombreux interprètes ont besoin du même retour audio. Par exemple, une troupe de danse peut écouter un mix multicast avec une latence de 0,7 ms en double mono (stéréo), grâce à un codec SeDAC de haute qualité. Et ce, en n’utilisant que 25 % de la capacité de transmission large bande de Spectera. Cela laisse 75 % des ressources disponibles pour d’autres besoins, comme les micros, les instruments ou les communications talkback.
Si vous deviez définir Spectera en trois mots, lesquels choisiriez-vous ?
Il me faudrait sûrement plus de trois mots, mais disons : simplicité d’utilisation, performances, flexibilité.
Y a-t-il autre chose que vous souhaiteriez ajouter ?
Je pourrais peut-être détailler davantage la notion de flexibilité. Qu’est-ce que cela signifie pour un opérateur ? Spectera fonctionne avec différents modes audio, que l’utilisateur peut sélectionner individuellement pour chaque appareil, et séparément pour les micros et les IEM. Ces modes varient en termes de latence, codec (donc débit), portée et autonomie de la batterie. Certains modes sont spécifiques aux IEM, d’autres aux micros, ou s’appliquent aux deux. Ces options permettent à l’opérateur de configurer précisément ce qui est nécessaire pour chaque situation, optimisant ainsi l’utilisation du spectre disponible – ce qui répond parfaitement aux exigences d’efficacité et d’efficacité stipulées par la directive RED.
Merci beaucoup pour cet entretien, Dr Wilzeck. Quelles sont vos prochaines étapes ?
Avec nos collègues en Asie-Pacifique, mon équipe et moi rencontrons actuellement les régulateurs individuels de la région APAC pour lever les limites de largeur de bande pour la technologie WMAS. Cette technologie est déjà autorisée à Singapour, en Australie (en intérieur), en Malaisie, aux Philippines, en Indonésie et au Bhoutan. Nous espérons obtenir bientôt l’approbation au Vietnam, à Taïwan et à Hong Kong.
Je vous souhaite bonne chance dans vos projets.
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